Soirée café patrimoine à Saint Laurent du Pont sur "Fourvoirie : entre forges et distillerie"
Le mardi 3 décembre 2013, s’est déroulé un café patrimoine dédié au site de Fourvoirie, dans les locaux de la Maison des associations, mis à disposition par la Mairie de Saint Laurent du Pont.
Issue d’un partenariat entre Les Amis du Parc de Chartreuse, les Oeuvriers de Fourvoirie, et la municipalité de Saint Laurent du Pont, cette soirée a été l’occasion d’échanges très intéressants entre la cinquantaine de personnes réunies.
En introduction, Jean Louis Barbon, président des Amis du Parc, a présenté la soirée ainsi que les personnes intervenantes. Il a aussi mit l’accent sur le principe des cafés patrimoines.
Il a ensuite annoncé le programme de la soirée qui s’articulait autour de deux thèmes principaux : les forges, l’acier, les ciments dans un premier temps, et la distillerie dans un second temps.
C’est ensuite Didier Tirard Collet, élu à la culture de la Mairie de St Laurent du Pont, qui a développé sur l’intérêt de mettre en lumière et de sauvegarder des sites historiques tels que celui de Fourvoirie.
Bernard Sauvageon, un des membres actifs des Oeuvriers de Fourvoirie, a évoqué plus précisément les actions engagées par ce collectif.
Une première animation a ensuite été lancée auprès des participants à qui nous avons proposé de décrire Fourvoirie en un mot.
Les sujets abordés
Les Forges et l’acier
Didier Tirard Collet a présenté en images le fonctionnement des forges, des différents fourneaux ainsi que l’évolution des machines utilisées pour la fabrication de l’acier.
Sur le site de Fourvoirie, il y avait anciennement une forge créée par M. Paturle avant d’être récupérée par M. Botta. L’usine Botta n’est aujourd’hui plus en état de marche mais la cimenterie Vicat utilise les hangars comme lieu de stockage pour des boulets de poussière compactée.
La force du Guiers Mort attira très tôt les Chartreux qui avaient d’ors et déjà des compétences en matière de forge. La puissance du courant permit de profiter de la force hydraulique pour actionner les moulins et plus tard les martinets.
Ce n’est pas la taille des fourneaux mais simplement la température à laquelle ils chauffent.
Dans les bas-fourneaux, le chauffage était obtenu par combustion du charbon de bois qui formait ensuite des loupes de fer.
Au début, les loupes de fer étaient forgées à la main après avoir passé une dizaine d’heures à chauffer dans le minerai. Cette loupe était ensuite sortie du feu puis martelée.
Ils ont ensuite utilisé les marteaux pillons, avant de passer aux martinets puis aux pinces crocodiles.
Auparavant, les alliages d’acier à Fourvoirie se faisaient dans les bas-fourneaux jusqu’à l’arrivée de l’industrie au coke (combustible qui remplace le charbon de bois) qui permit la création des hauts fourneaux. Dans ces derniers, les matériaux étaient insérés par le haut puis on récupérait la fonte par le bas.
La température pouvait monter jusqu’à 1500°C à 1800°C dans les hauts fourneaux !
Du nom de son créateur, le convertisseur Bessemer permettait d’affiner de la fonte brute pour fabriquer de l’acier.
Le saviez-vous ?
– La Tour Eiffel est constituée d’acier provenant de ces machines.
– Un convertisseur pouvait peser jusqu’à 40-60 tonnes !
Nous avons eu la chance de profiter de la présence d’André Vachon, ancien salarié de la forge à Fourvoirie, qui nous a dévoilé ses souvenirs concernant la vie des ouvriers à l’époque.
Sa première impression quand il arriva à Fourvoirie, fut celle de rentrer dans une caverne. Pour autant, André Vachon a confié que l’ambiance de travail était très agréable et familiale. Au début, il n’existait pas de pointeuse et les ouvriers travaillaient dans un esprit de confiance avec les employeurs.
– A l’époque, ils étaient 340 travailleurs sur Fourvoirie, dont environ 120 qui travaillaient aux fours.
– Il y avait une navette pour les ouvriers qui les ramenait sur les communes de St Laurent du Pont, St Joseph de Rivière, Entre Deux Guiers...
– M. Paturle, ancien directeur des forges, avait même trouvé du travail pour les femmes. Outre la fabrication de lames d’armures, de lames pour la marque OPINEL, et autres matériaux...que les hommes fabriquaient, les femmes, quant à elle, construisaient des baleines pour les sous-vêtements féminins.
– Les forges ont été exploitées jusqu’en 1976-1977, époque où une partie du flanc de la montagne s’écroula sur les vestiaires.
Les moines Chartreux savaient couler le fonte à Fourvoirie. Ils utilisaient la force hydraulique du Guiers Mort pour actionner l’ancien moulin, ensuite remplacé par les trombes à air, puis par l’actuelle centrale hydro-électrique.
Le débat s’est ensuite ouvert sur le devenir du site. Certains estiment qu’il serait plus sage de tout enlever étant donné l’état de dégradation actuel et la faible qualité paysagère de ce site. D’autres y trouvent un grand intérêt patrimonial et culturel qu’il faudrait préserver et valoriser.
Il y a ensuite eu une pause lors de laquelle les participants se sont restaurés et ont échangé sur les thématiques abordées.
La cimenterie VICAT
Avant de continuer les discussions sur la distillerie de Fourvoirie, Didier Tirard Collet a évoqué rapidement la cimenterie ainsi que le train VSB.
La cimenterie VICAT est une entreprise d’origine Grenobloise. A Grenoble notamment, on trouve beaucoup de bâtiments fabriqués en ciment prompt (exemple de la maison Casamaures à St Martin le Vinoux.
Quant au VSB (Voiron-Saint Béron), il servait à acheminer les liqueurs fabriquées à Fourvoirie jusqu’au lieu de stockage à Voiron, mais aussi à transporter les matériaux venant et allant aux forges et à la cimenterie.
Les moines Chartreux possédaient 50% des parts du VSB pour permettre la création de 2 lignes dans le site.
Le VSB a cessé de fonctionner dans les années ????. La ligne a ensuite quasiment disparu lors de la seconde guerre mondiale, les traverses ayant été utilisées comme bois de chauffage et les rails utilisées pour fabriquer des canons.
La distillerie des moines Chartreux
Didier Tirard Collet a débuté cette thématique par une présentation de l’évolution du paysage de la distillerie, en mettant en parallèle des photos anciennes et actuelles.
– Les 3/4 de la distillerie ont disparu sous le glissement de terrain du 15 septembre 1935.
– A l’entrée du site se trouvait la loge du gardien, mais n’existe plus aujourd’hui. Les premiers bâtiments que l’on trouve actuellement à l’entrée sont utilisés par l’ONF.
– On distingue encore les parcelles de l’ancien jardin.
– La salle des alambics est actuellement en état de dégradation avancée car il n’y a plus de toit dans la salle du dessus.
C’est ensuite Bernard Sauvageon qui a pris la parole pour parler de l’histoire de la distillerie.
La distillerie possédait autrefois une surface de 7,5 hectares de terrain. Ce fût l’une des plus grandes distilleries. Aujourd’hui la plus spacieuse est celle des caves de Voiron avec 162 mètres de long.
Pour autant, la distillerie de Fourvoirie n’a pas fonctionné très longtemps :
– 1860 : construction du site
– 1862 : début de la fabrication de la liqueur
– 1903 : expulsion des Chartreux qui se sont réfugiés à Tarragone (Espagne) où ils ont continué leur production de liqueur.
– 1929 : Retour des Chartreux à Fourvoirie (la production recommence dès 1931)
– 1935 : glissement de terrain, arrêt de l’activité.
Le bâtiment est alimenté par trois sources : la Mousse des Chartreux, les Cocotiers, la source du Fragme. Certains disent que l’une de ces sources serait à l’origine du glissement de terrain mais aucune explication scientifique n’est venue le confirmer à l’heure actuelle.
Pourquoi une distillerie à Fourvoirie ?
Les Chartreux disposaient d’une grange dans les années 1834. Il est d’ailleurs fort possible que la grange ait donné son nom à Fourvoirie car c’était une "Pourvoirie". Elle servait de lieu de stockage pour les provisions de nourriture et des fournitures pour le Monastère de la Grande Chartreuse. Il y avait un chemin qui connectait la grange au monastère intitulé "Chemin de Ripailles", un nom qui parle de lui-même !
Les Chartreux fabriquaient déjà la Chartreuse Jaune dans l’apothicairerie du Monastère. La production augmentant rapidement, ils se sont d’abord délocalisés à la Correrie, puis à Fourvoirie, afin d’étendre leur production d’alcool.
La recette de la liqueur est arrivée en 1737 en Chartreuse. C’était la recette de l’élixir de longue vie que les Chartreux (les anciens médecins locaux) utilisaient notamment pour soigner les personnes.
Certains disent que l’émergence rapide de l’intérêt pour la liqueur daterait de Napoléon. En effet, ce serait la troupe de l’armée des Alpes de Napoléon qui, lors de son passage au Monastère, aurait fort apprécié la convivialité de ses hôtes ainsi que la savoureuse liqueur. Ils auraient alors promis qu’ils parleraient de cette Chartreuse Jaune partout où la troupe s’arrêterait...
Ceci n’est probablement qu’une légende, mais il est certain que les Chartreux ont rapidement été victimes de leur succès. D’ailleurs, la Chartreuse est aujourd’hui commercialisée dans le monde entier !
Le site de la distillerie a été construit comme un véritable monastère avec une seule entrée, une partie centrale isolée et un droit d’accès strictement limité. Il y avait d’ailleurs uniquement une trentaine de personnes qui y travaillaient dont 3 moines Chartreux qui connaissaient la fameuse recette de la Chartreuse (une partie ou l’intégralité, nul ne le sait vraiment).
Les salles "phares" de la distillerie sont :
– la salle des alambics (on dit qu’il y en aurait 11 au total)
– la salle du séchage des plantes
– la salle des mélanges
En 1865, durant les temps forts, il semblerait que les Chartreux produisaient jusqu’à 3,5 millions de litres de liqueur par an !
Ils mettaient en bouteille environ 5000 litres par jour.
Les jardins de la distillerie participaient au fruit des cueillettes avec notamment une zone de plantation et de récolte, une zone avec une pépinière, un potager... Ils avaient bien sur d’autres terrains où les plantes étaient cueillies par les locaux.
Actuellement, toutes les plantes sont stockées à Montrieux avant d’être acheminées au Monastère où les Moines effectuent une vérification qu’elles ne soient amenées à la distillerie de Voiron.
Pourquoi les Chartreux n’ont-ils pas reconstruit la distillerie après 1935 ? Cela s’explique par plusieurs faits :
– le site de la distillerie appartenant à l’État, les Chartreux n’avaient pas le droit de reconstruire dessus
– il semblait déjà évident à l’époque que le VSB allait finir par disparaître
– étant donné que la liqueur était déjà stockée à Voiron, il était alors logique de délocaliser l’intégralité de la production sur ce site.
La soirée s’est terminée par le visionnage des premières minutes d’un reportage vidéo sur les ruines de la distillerie, réalisé par Didier Tirard Collet. De quoi se rendre compte de l’état actuel d’un site d’exception !
Pour découvrir le document-souvenir distribué lors de cette soirée, cliquez sur le document ci-dessous :
Nous remercions chaleureusement les Oeuvriers de Fourvoirie et la Mairie de St Laurent du Pont pour leur agréable collaboration.
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